Allez mourir ailleurs

Que sait-on des personnes âgées ? Comme on les délaisse, qu’on ne les voit pas, qu’on ne les fréquente pas, les informations viennent des médias. Elles sont de vieilles personnes qui demandent des soins, des préposés, des foyers coûteux. On installe des caméras pour les surveiller, on ne leur donne pas toujours les soins d’hygiène élémentaires. On trouve que ça coûte cher et on cherche encore à les entasser dans des chambres à plusieurs lits, sans intimité ni pour eux ni pour les proches. On les a laissé mourir seules pendant la pandémie. Nous rejetons le blâme sur le système de santé, que nous avons nous-mêmes choisi pourtant. En perte d’autonomie ou en fin de vie on demande des soins, est-ce si surprenant ? Nous devrions accepter ce pacte, qu’un jour nous aurons à rendre les soins qu’elles nous ont prodigués enfants.

C’est donc cela la vieillesse! Que se passe-t-il avant ce moment pénible de la fin de l’autonomie? On devient grands-parents vers la cinquantaine, retraités on devrait avoir du temps à soi, du temps pour les autres aussi et encore. Autrefois et dans les mœurs autochtones, les aînés occupaient une place de choix, au sommet de la hiérarchie, la sagesse des ans avait sa voix. Les familles prenaient soin des plus vieux et les considéraient comme des puits de science de la vie. Les enfants vivaient plus souvent avec les aînés. La transmission des connaissances avait lieu, la sagesse ne se perdait pas. Une éducation isolée des anciens ne donne pas les mêmes résultats.

Pourtant la société a investi pendant des dizaines d’années dans ces personnes, elles sont des actifs de la société qu’on laisse en perdition. Non les personnes âgées ne sont pas que sources de coûts comme disent les hommes d’affaires, elles sont un capital négligé, une source de savoir inestimable. Elles sont responsables de forger des femmes et des hommes plus solides, meilleurs citoyens, meilleures personnes.

Des miracles s’opèrent, les plus souvent dans l’anonymat, sans qu’on le sache, somme de gestes discrets et patients. Les aînés connaissent la longueur du temps, le temps pour construire des grandes âmes, dont on a besoin pour créer une société. Un miracle comme celui de ce jeune qui a vécu près de sa grand-mère, un miracle qui n’a rien de divin peut se produire. Le jour fatidique arrive, la perte de grand-maman, il a le coeur en miettes. Pendant que l’on discute la succession entre proches, lui est assis seul avec son père, loin du tumulte, peut-être car il se fait tard. Pourquoi est-ce si long ? On se dispute l’héritage peut-être. « Pour moi, c’est sans intérêt », dit-il. «Que veux-tu dire ?», réplique son père. «Moi je l’ai eu mon héritage, j’ai vécu avec grand-maman, je ne veux rien d’autre». Le père, estomaqué par cette réplique adolescente, a compris que des valeurs ont été inculquées à son fils et que son fils sera un homme meilleur grâce à elle.