Les travailleurs de la santé sont à bout de souffle. La pandémie qui continue de faire des victimes engendre une pression sans précédent sur le système de santé et le manque de personnel en milieu de soins complique grandement la situation. Comme dans plusieurs autres secteurs d’activités, on parle depuis des années de pénurie de main-d’œuvre en santé. Mais qu’entend-on réellement par pénurie de main-d’œuvre? Et surtout, comment éviter que d’autres secteurs atteignent à leur tour les limites de leur capacité humaine?
Selon Jacques Gagnon, président d’Imagem, entreprise spécialisée dans le développement de technologies dédiées au domaine de la santé, les problèmes de main-d’œuvre seraient davantage associés à des problèmes de gestion.
«Les gestionnaires doivent se poser de sérieuses questions. Un employé qui «ne fait pas l’affaire», trop souvent n’a pas été correctement intégré ou encore, on n’a pas su trouver ses forces et les mettre à profit. Qu’importe l’organisation, qu’importe le travail à effectuer, aucun employé n’arrivera à se former seul. Il faut prendre le temps de l’accompagner et l’aider à se développer au sein de l’entreprise», croit-il.
Basée au Saguenay, Imagem applique elle-même cette philosophie. L’entreprise, à laquelle on doit les suites de logiciels Interview et Postscriptum, conçues pour répondre aux différents défis de la gestion de l’imagerie diagnostique et de la création de rapports médicaux, a vu son équipe considérablement s’accroître au cours des 25 dernières années. Un heureux problème qui a amené ses gestionnaires à se questionner sur les bonnes pratiques en gestion des ressources humaines.
«Les capacités relationnelles d’un individu et le bon jugement dont il fait preuve en disent long sur lui. Ses diplômes doivent aussi être reconnus, car ils démontrent sa capacité de synthèse, d’analyse et de réussite des épreuves. C’est ce que je recherche chez un employé» affirme Jacques Gagnon.
Choisis avant tout pour leurs qualités humaines, les employés qui ont fait leur entrée chez Imagem au fil des ans ont su faire leur place grâce au temps et à l’énergie investis pour leur intégration et leur formation.
« Il faut valoriser les individus et leur intelligence humaine, pas seulement leurs compétences proprement dites. Le savoir-faire, ça se développe, ça se travaille. Les attentes des gestionnaires sont souvent irréalistes et les critères sur lesquels ils se basent pour évaluer les candidats sont inadéquats. »
— Jacques Gagnon, président-directeur général d’Imagem
Briser le moule
«À la recherche de nouveaux talents», en voilà un message tout droit sorti de dizaine d’offres d’emploi qui a de quoi faire rouler des yeux le président d’Imagem. Pour lui, le talent se développe et s’acquiert au fil des ans. Les gestionnaires qui sont à la recherche de perles rares ou de talents «prêts-à-porter» ne peuvent faire autrement qu’être déçus. On ne peut s’attendre à ce que les candidats entrent dans un moule parfaitement dessiné.
«Il faut valoriser les individus et leur intelligence humaine, pas seulement leurs compétences proprement dites. Le savoir-faire, ça se développe, ça se travaille. Les attentes des gestionnaires sont souvent irréalistes et les critères sur lesquels ils se basent pour évaluer les candidats sont inadéquats», souligne-t-il.
Les gestionnaires gagneraient également à reconnaître que la réelle valeur de leur organisation repose sur leurs employés. On le constate actuellement avec le réseau de la santé. Sans infirmiers, sans médecins, sans préposés aux bénéficiaires, sans professionnels de la santé, il n’y a tout simplement plus de réseau qui tienne.
La rétention de personnel, un défi à relever
Pour Jacques Gagnon, il ne fait nul doute qu’un autre défi consiste à conserver ses employés une fois qu’on a reconnu leur valeur. La clé? La valorisation de leur travail et la reconnaissance de leurs aptitudes ainsi que leurs qualités personnelles et professionnelles. Selon un sondage réalisé par la firme Léger auprès de plus de 17 000 Québécois, la réalisation de soi, les relations de travail et la reconnaissance engendreraient d’ailleurs davantage le bonheur au travail que la responsabilisation, la rémunération et le sentiment d’appartenance.1
«Tout le monde a besoin de se savoir important. La reconnaissance est fondamentale. On peut offrir des salaires plus élevés, mais tôt ou tard ça ne fera plus la différence si les employés n’ont pas l’impression de se réaliser et d’être appréciés», soutient Jacques Gagnon. Pour reprendre l’exemple des travailleurs du milieu de la santé, M. Gagnon fait référence aux préposés aux bénéficiaires. Pour lui, il est évident que le travail de ces derniers est sous-estimé.
«Ce qu’ils font au quotidien, bien des gens seraient totalement incapables de le faire. Ils ont des tâches ingrates, mais essentielles. On ne les forme pas adéquatement pour le faire. On devrait prendre les moyens de les intégrer dans des équipes et valoriser davantage ce travail.»
Quant à la formation accélérée de préposés aux bénéficiaires (PAB) et les bourses du gouvernement du Québec qui l’accompagnent, cela est simpliste et précipité. Aux dires du gestionnaire d’Imagem, les solutions durables doivent être envisagées sur le long terme. Sans formation continue sur le terrain, sans soutien, sans intégration dans le milieu de travail, il y a fort à parier que les nouveaux PAB seront peu nombreux à conserver leur emploi au-delà des douze mois que leur impose le gouvernement pour ne pas avoir à rembourser la bourse de 9000$ reçue durant leur formation.
Dans un article du Devoir, paru le 3 décembre dernier, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) souligne d’ailleurs « que le manque de personnel sur le terrain préoccupe autant les anciens préposés aux bénéficiaires que les nouveaux ». Autre problème, selon le président de la Fédération, Jeff Begley : le salaire de 26 $ l’heure, qui fait toujours l’objet de négociations.2
1 Indice du bonheur Léger au travail, novembre 2018 et mars 2019.
2 https://www.ledevoir.com/societe/sante/590872/les-nouveaux-preposes-restent-au-front