Une médecin interrogée devant son hôpital est inquiète. « Pourrons-nous soigner tout le monde ? », nous lance-t-elle. « Il faudra faire des choix ! Oui des choix déchirants », dit-elle. Qui soigner ? Quels patients prioriser ? Un choix déjà fait puisque nous avons priorisé les soins aux patients atteints de la Covid-19 sur tant d’autres malades. Un choix forcé devant l’inconnu, mais aurait-il mieux valu prioriser les personnes malades plutôt qu’une maladie ? La réalité a été que les soins ont tous été affectés et avec un impact inconnu lui aussi.

« À partir du moment où on catégorise les vies humaines, on perd un peu de notre humanité », croit Jacques Gagnon, président d’Imagem, entreprise spécialisée dans le développement de technologies dédiées au domaine de la santé. « L’histoire nous l’a démontré à maintes reprises, nous avons souvent accordé une valeur plus ou moins grande à certains individus en se basant sur leur couleur, leur race, leur classe sociale. Sommes-nous si loin de cette réalité aujourd’hui? Quand on accepte de laisser nos aînés mourir dépouillés de toute dignité dans les CHSLD, quand on accepte de mettre la déficience mentale dans nos critères ce n’est pas pour la prioriser, on déshumanise. Connaît-on l’importance pour nous d’avoir ces démunis avec nous ? », questionne M. Gagnon.

En d’autres termes, que vaut une vie et comment justifier qu’on en priorise certaines au détriment d’autres? L’été dernier, le magazine l’Actualité s’est penché sur le sujet pour conclure qu’effectivement la vie a une valeur comptable. « [Lors des attentats du 11 septembre 2001] Les familles des victimes pauvres, célibataires ou âgées ont reçu proportionnellement moins d’argent que celles des victimes jeunes, riches et ayant de jeunes enfants », relatait le journaliste François Delorme dans la publication du 1er juin 2020.

Pendant la pandémie, cette même valeur comptable fut priorisée. On a fait le choix de soigner les cas de Covid pour vite relancer l’économie. La vie a pourtant une valeur autre que celle-ci. Ne dit-on pas que certaines œuvres humaines ont une valeur inestimable ? Quand vient le temps de soigner, de protéger, quels seraient les paramètres à évaluer pour conduire nos actions? La mode de l’intelligence artificielle nous dirait quel algorithme employer. Faut-il calculer l’âge, la richesse matérielle, l’état de santé, la profession? Mais on sait qu’un algorithme est une opinion dans une équation comme le dit la mathématicienne américaine Cathy O’Neil. En somme, nous ne pouvons pas nous cacher derrière une équation, il faut affronter la question.

« Il faut avant tout faire preuve d’empathie, suggère Jacques Gagnon. Nos valeurs morales, humaines, nous amènent à considérer toute vie nonobstant ce qu’elle peut bien rapporter. Toutes les vies se valent. La seule chose qui devrait importer est d’en sauver le plus possible, sans relâche », soutient ce dernier.

À titre de dirigeant d’entreprise, Jacques Gagnon fait le parallèle avec le monde des affaires. Au sein d’une organisation, la valeur d’un employé ne se mesure pas au seul critère de sa rentabilité. L’autonomie, le sens des responsabilités, la créativité, la capacité de travailler en équipe, la richesse du bagage personnel et professionnel sont autant d’éléments à prendre en compte.

Ainsi, la vérité se trouve peut-être dans une vie, une vie qui a un début et une fin, une vie que l’on ne peut estimer que dans sa totalité, dans sa nécessité, dans la grandeur de sa modestie. Qui sommes-nous pour choisir entre l’une ou l’autre ?

«Il faut avant tout faire preuve d’empathie. Nos valeurs morales, humaines, nous amènent à considérer toute vie nonobstant ce qu’elle peut bien rapporter. Toutes les vies se valent. La seule chose qui devrait importer est d’en sauver le plus possible, sans relâche.»

Jacques Gagnon, ing.

Président-directeur général d’Imagem